Une histoire stupéfiante – Partie 2: l’opium du Moyen-Age aux Lumières
L’opium a eu une carrière aventureuse au cours du temps. Les légendes liées à son utilisation pourraient remplir un livre entier. Après avoir parcouru les principales étapes de son voyage dans l’Antiquité, voyons maintenant ce qui s’est passé au cours du Moyen Age jusqu’au siècle des Lumières.
Le Moyen Age : recul de l’utilisation de l’opium en Europe
Au cours de l’histoire, la conception et le sens donnés à la douleur varient selon les époques et les cultures. En Europe Occidentale, le christianisme qui se développe modifie la perception de la douleur. Elle est perçue alors comme un châtiment de Dieu ou un moyen de rédemption. Cette perception de la douleur change, inévitablement celle de l’emploi des antalgiques, dont l’opium. S’il n’est plus nécessaire pour lutter contre la douleur, l’opium devient uniquement une substance hallucinogène et psychoactive.
Cependant à la même époque, la médecine a prospéré dans le monde musulman grâce à certains médecins tels qu’Avicenne, médecin, philosophe, mathématicien et astronome. Dans son œuvre « Canon de la médecine », ouvrage qui rassemble toutes les connaissances médicales de son époque, il décrit l’utilisation de l’opium à des fins thérapeutiques mais également les potentiels risques psychologiques et physiologiques causés par cette substance. Dans cet ouvrage, on retrouve la première description du phénomène de dépendance engendrée par l’emploi d’opium ainsi que de nombreuses descriptions de la physiologie de la douleur et de l’antalgie. La douleur devient alors un symptôme qui aide à poser un diagnostic.
La Renaissance et les Lumières: redécouverte des vertus thérapeutiques de l’opium grâce à l’anatomie
La Renaissance stimule l’esprit scientifique et encourage les découvertes dans de nombreux domaines dont plus particulièrement l’anatomie. La médecine de cette époque tend à expliquer le corps humain comme une machine complexe, ainsi, les mécanismes à la base de la sensation et de la perception de la douleur évoluent en parallèle.
« Le n’avoir point de mal, c’est le plus avoir de biens que l’homme peut espérer » écrit Michel de Montaigne dans ses Essais.
Leonardo Da Vinci, grand scientifique et artiste, a particulièrement étudié l’anatomie pour des raisons artistiques et scientifiques. Il pensait que les nerfs étaient des structures tubulaires et que la sensibilité à la douleur était étroitement liée à la sensibilité au toucher.
Vésale a fait entrer l’anatomie humaine dans la médecine moderne par son livre « Sur le fonctionnement du corps humain ».
Par la suite, Descartes va décrire la douleur comme un signal précis qui est conduit, de la périphérie, par exemple le pied, au cerveau pour l’avertir et lui faire faire quelque chose pour éviter la douleur.
Ambroise Paré, chirurgien des militaires et des rois, a mis en pratique les connaissances anatomiques de l’époque pour développer le soin des plaies de guerre associant l’utilisation de la thériaque à de nouvelles techniques chirurgicales. Avant Paré, on stoppait les hémorragies en jetant de l’huile bouillante sur les blessures sans donner un quelconque antalgique aux patients.
Un autre pionnier dans le traitement de la douleur au cours de cette époque fut le renommé et innovateur Paracelse. Ce médecin, philosophe et théologien suisse, recommandait l’emploi de l’opium et autres herbes médicinales pour soulager la douleur. Il inventa le “laudanum”, un remède à base d’opium qu’il recommandait pour ses qualités somnifères, antalgiques et anti-diarrhéiques.
Au cours du XVIIe siècle, le médecin anglais Sydenham, surnommée l’Hippocrate anglais, chantait les louanges de l’opium en écrivant que “parmi les remèdes que la miséricorde divine a donné aux hommes pour alléger les souffrances, rien n’est si universel et efficace que l’opium”.
Il modifia la formule de Paracelse en ajoutant à la poudre d’opium du safran, de la cannelle, du girofle et de l’alcool.
Sydenham expérimenta avec succès sa formule comme antalgique, somnifère, anti-diarrhéique, ou encore pour traiter les accès de goutte ou les maladies nerveuses. La formule de Sydenham, facile à préparer, sera utilisée jusqu’au XXème siècle.
A partir du XVIIIème siècle, l’utilisation de l’opium en cas de douleurs n’est plus contestée et son emploi va dépasser le cadre strictement médical. Ainsi, grâce à sa vente libre dans certains pays, le laudanum est aussi utilisé à but récréatif ou pour faire face aux problèmes de la vie quotidienne autres que médicaux, par exemple l’ennui. Peu à peu son emploi va se répandre dans toute la société et l’opiomanie se diffuse comme une plaie sociale en égalant le phénomène de l’alcoolisme.
Suite et fin de la saga à la rentrée…
Billet rédigé par V. Mainardi
Billet relu par Dre C. Cedraschi, Dre.V. Piguet et Mme A. Oberlin
Aucun conflit d’intérêt n’est rapporté par l’auteur et relecteurs.
Références
Roselyne Rey. Histoire de la douleur Editions La Découverte/Poche 2000
Site pédagogique de la Bibliothèque de France
Wikipedia
Je trouve cette mise en perspective historique bien intéressante. Les autres types de médicaments ont-ils eux aussi une histoire aussi longue et complexe?
D’autres antalgiques ont une histoire tout aussi intéressante bien qu’une nettement plus courte.